Homélie pour la fête de la paroisse par p. Laurent
Chers frères et sœur,
Extrait du Lucernaire des vêpres de saint Martin : L’année où Constantin se fit baptiser, Martin lui-même fut inscrit parmi les catéchumènes de la cité ; et, tandis qu’il surveillait de nuit la garnison, au cœur de l’hiver il lui arriva de rencontrer un pauvre à demi nu ; ayant déjà distribué tout son argent, il prit l’épée, détacha la pelisse de son manteau et la donna au pauvre, pour observer le précepte du Christ à ses apôtres de ne pas avoir en double son manteau.
Aujourd’hui nous fêtons la mémoire de notre saint père théophore et protecteur de notre paroisse, saint Martin. Dans la vie de saint Martin nous lisons des récits de miracles, de guérisons, de résurrections, des récits qui rappellent des passages de l’Ancien et le Nouveau Testament. Nous voyons saint Martin moine, évêque, thaumaturge, égal aux apôtres. L’Eglise a pourtant choisi de garder dans son hymnographie l’acte qui peut sembler le plus ordinaire, le plus facile, le plus humain finalement, l’acte qui est à la portée de tous.
Extrait du Lucernaire des vêpres de saint Martin: O marque inoubliable de charité, geste unique dans les actes des Saints et pour cette raison à juste titre célébré au cours des siècles dans tout l’univers : Martin dégaine son glaive pour trancher le manteau d’uniforme en deux égales moitiés ; mais le pauvre n’ayant pas assez chaud et la chlamyde réglementaire sera perdu ; alors il garde le dessus et se prive du meilleur : il donne au pauvre la doublure de mouton, et sa royale aumône pourra passer inaperçue.
Pourquoi donc ce choix hymnographique ? Cela réside dans la portée de cet acte de partage. Par le partage de son manteau s’exprime la véritable rencontre entre l’homme et son prochain, entre l’homme et Dieu. Car j’étais nu et vous m’avez vêtu (Mt 25, 36). L’amour pour notre prochain est le deuxième commandement du Christ, irrévocablement lié au premier commandement, l’amour pour Dieu. Rappelons-nous deux autres extraits bien connus des Evangiles. Jésus, ayant levé les yeux, vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le tronc. Il vit aussi une pauvre veuve, qui y mettait deux petites pièces. Et il dit : Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres ; car c’est de leur superflu que tous ceux-là ont mis des offrandes dans le tronc, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu’elle a pour vivre (Lc 21, 1-4). Ou encore Quand ta main droite donne quelque chose à un pauvre, ta main gauche elle-même ne doit pas le savoir. Ainsi, il faut que ce don reste secret ; et Dieu, ton Père, qui voit ce que tu fais en secret, te récompensera (Mt 6, 3-4).
Extrait du Lucernaire des vêpres de saint Martin : Tranchant la couture qui unissait le manteau de laine à la doublure de mouton, Martin s’est libéré de la tunique de peau que jadis en les chassant du Paradis le Seigneur avait cousu pour le couple déchu de la grâce de Dieu ; et, par le baptême, il reçut la nouvelle naissance, la rémission des péchés, il abandonna dans ce bain l’épaisseur de la chair pour revêtir le premier vêtement, celui de la grâce et de l’immortelle condition.
En garnison saint Martin n’avait rien de superflu et ayant déjà distribué son argent, en donnant, en secret, une part de son manteau en plein hiver, il a donné de son nécessaire. Mais quelle est la différence entre le don de ce qui nous est superflu et le don de ce qui nous est nécessaire ? En quoi cela change-t-il quelque chose pour notre prochain ? Et en quoi le don à celui qu’on ne connait pas est-il différent de ce que nous donnons à ceux que nous aimons par nature ? Certes, matériellement cela ne change rien. Mais cela change beaucoup dans notre relation avec notre prochain, et ainsi dans notre relation avec notre Seigneur. Combien de nos rencontres quotidiennes sont de véritables rencontres ? Combien de fois par jour, en voyant nos prochains, nous distinguons le Christ ? Combien de fois nos propres préoccupations nous empêchent de voir et d’écouter véritablement notre prochain ? Pour entrer en vraie relation avec autrui, pour voir dans notre prochain le Christ, nous devons le voir non pas comme un reflet de nous-même, non pas en fonction de notre propre être. Nous devons l’approcher pleinement, dans son être, dans sa propre personne. Nos envies, nos pensées et arrière-pensées, nos péchés, nos opinions, ce qui nous est superflu, ce quoi par lequel nous essayons de compenser la perte de grâce de Dieu, nous entourent d’un voile opaque et forment ensemble cet obstacle à des rencontres véritables. Et ainsi nous sommes empêchés de voir Dieu. En se dépouillant par charité, en partageant son manteau le regard bienveillant posé sur son prochain, comme nous le montre certaines icônes, saint Martin a vu Dieu, selon l’adage patristique « Qui a vu son prochain, a vu Dieu ».
Extrait du Lucernaire des vêpres de saint Martin : Nul autre que le pauvre n’en fut témoin, mais dans ce pauvre à moitié nu, c’est le Christ que Martin a secouru ; « car j’étais nu, dit-il, et vous m’avez revêtu », aussi, devant les Anges rassemblés, le Seigneur se montre vêtu, dans le ciel, de ce dont Martin l’a couvert, disant : « C’est un catéchumène, mais déjà il m’a donné la doublure d’un manteau et d’une peau de mouton Martin a revêtu le Pasteur des brebis.
Je viens à une petite anecdote, petite anecdote que j’ai sorti d’un livre sur la rencontre entre l’homme et Dieu, petite anecdote qui s’intègre bien de notre récit. « La nuit tombe sur un soir de bataille. Dans la nuit venue, une voix s’élève : « Lieutenant, j’ai fait un prisonnier. » « Amène-le », dit le lieutenant. « Je ne peux pas, il me tient trop fort ! » ». Non seulement le geste de charité de saint Martin que nous chantent les hymnes, saint Martin l’a fait en tant que soldat, mais surtout l’anecdote marque la grande différence spirituelle entre Saint Martin d’une part, et celui qui est prisonnier de ce qu’il croit posséder. Dans quatre jours nous entrons dans le carême précédant la fête de la Nativité. Nous jeûnons dans l’unique but d’aller à la rencontre de Dieu. Efforçons-nous dans ce jeûne à nous dépouiller de ce que nous pensons posséder, pour nous donner de contempler Dieu dans notre prochain.
Saint Martin, prie le Christ notre Dieu d’être miséricordieux pour nos âmes. Amen.