Chers frères et sœurs,
En continuation avec les catéchèses précédentes, nous souhaitons aborder, en marge des offices, des thèmes touchants à notre vie chrétienne, avec l’espoir que cela nous aide à progresser dans notre cheminement vers Dieu. Nous restons à l’écoute de vos réflexions à ce sujet. Libre à chaque paroissien d’avancer un thème pour un prochaine échange.
Après avoir fait trois catéchèses, très différentes les unes des autres, concernant la Liturgie, non pas que le sujet soit épuisé, nous proposons de nous arrêter quelques dimanches aux épîtres de saint Paul, épîtres qui forment, comme vous le savez très certainement, les premiers écrits du Nouveau Testament. Comme la Liturgie, le Nouveau Testament est né de la Tradition sous inspiration du Saint Esprit. Elle est aussi donc une source inépuisable et vivifiante pour chaque chrétien. L’écouter, l’étudier, la méditer et la vivre selon nos possibilités et la grâce de Dieu, nous permet d’approfondir notre connaissance en Dieu. C’est ainsi que nous l’enseigne l’Eglise et nous montrent les saints.
Aujourd’hui je vous propose une petite homélie sur l’épître aux Ephésiens.
En ayant intégré l’Eglise, nous répondons à la vocation première de l’homme, vocation reçue avant même la Création du monde, c’est-à-dire à être « saints et irréprochables » sous le regard de Dieu, « dans l’amour ». Nous sommes invités à être ses « fils adoptifs par Jésus Christ ». Et c’est par Son Fils bien-aimé que cette vocation a été renouvelé.[1] Ainsi, par l’Incarnation de Jésus Christ, Dieu nous a annoncé l’Evangile et a « fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre »[2]. Baptisés, nous devenons « membre du même Corps », nous faisons partie de « l’Eglise, laquelle est son Corps ». « Voici, qu’à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ ». Nous sommes réconciliés en sa personne en « un seul homme nouveau », « en un seul Corps », « en un seul Esprit » afin de recevoir « libre accès auprès du Père »[3]. Nous devenons ainsi des « concitoyens des saints », « de la famille de Dieu », nous sommes « intégrés dans la construction qui a pour fondation les apôtres et les prophètes, en Jésus Christ lui-même comme pierre maîtresse »[4].
Ces quelques extraits nous montrent le thème principal qui traverse cette épître aux Ephésiens, notamment celui du mystère de l’Eglise. Ce mystère, nous lisons, est intimement lié à l’Incarnation du Verbe et fait partie de l’œuvre salvatrice de Dieu. Pourtant, en avons-nous bonne compréhension ?
La pratique nous montre que la nécessité de l’Eglise n’est pas toujours bien comprise. Quand des chrétiens vivent à l’écart de la vie paroissiale et de la vie liturgique, je parle dans un contexte où le culte peut être vécu normalement, on peut supposer qu’il y a une non compréhension, une non reconnaissance de la nécessité de l’Eglise. Quand des personnes se font baptiser, pour ensuite ‘disparaître dans la nature’, on peut également supposer qu’il y a une non compréhension, une non reconnaissance de la nécessité de l’Eglise. Quand nous participons à la Divine Liturgie sans nous avancer régulièrement pour recevoir la communion eucharistique (Mystère de l’Eucharistie), ou en nous y préparant insuffisamment, nous ne vivons pas en toute plénitude le Mystère de l’Eglise, qui est Mystère d’Unité et d’Amour. Je me permets, pour approfondir ce sujet, un petit détour par un extrait d’une homélie du père Placide (Deseille) d’éternelle mémoire, homélie prononcée à l’occasion de la fête de saint Pierre et Paul, homélie qui touche à ce questionnement concernant la nécessité de l’Eglise.
Pourquoi ne pouvons-nous pas aller à Dieu directement, nous adresser au Christ directement, en faisant l’économie de tous les intermédiaires et de toute médiation humaine ? Quelle nécessité y a-t-il de s’agréger à un corps social, à un peuple, fût-il le peuple de Dieu ? Quel besoin avons-nous de nous soumettre à l’autorité d’une hiérarchie et d’une tradition ? Pourquoi l’Eglise ? La réponse en elle-même est simple. C’est parce que le Christ a voulu qu’il en soit ainsi. Lorsque Pierre eut confessé sa foi dans sa messianité, le Christ lui déclara : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (Mt 16,18). Le Seigneur Jésus affirmait ainsi sa volonté d’établir une Eglise, et de s’associer des hommes pour en être, avec lui, le fondement. Pierre lui-même, dans sa première épître, dira aux chrétiens qu’ils ne sont pas des individus isolés dans leur relation avec Dieu, mais qu’ils sont les membres d’un peuple dont l’ancien Israël était l’ébauche et la promesse : « Mais vous, vous êtes une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis afin que vous annonciez les perfections de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière (1Pi 2,9). » Et Paul, dans son épître aux Ephésiens, reprendra l’image de la pierre comme fondation, utilisée par le Christ à Césarée de Philippe, pour souligner l’importance du ministère apostolique dans l’Eglise : « Vous êtes concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu, édifiés que vous êtes sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus Christ lui-même est la Pierre angulaire » (Ep 2,19-20). Cette volonté du Christ d’établir une Eglise, de nous sauver dans et par l’Eglise, n’a rien d’arbitraire ni de gratuit. La fondation de l’Eglise s’identifie avec le but même de toute son œuvre de salut. Le péché est essentiellement une œuvre de division. En se séparant de Dieu, l’homme brise le lien qui l’unit aux autres hommes. Toute l’histoire de l’humanité en témoigne, depuis la faute d’Adam, notre premier père, depuis le meurtre d’Abel par Caïn et la tour de Babel, jusqu’aux guerres, aux génocides et aux goulags de notre époque. Le mystère de salut accompli par le Christ, au contraire, est essentiellement une œuvre de réunification. Il s’est uni à notre nature humaine exsangue et disloquée afin de lui communiquer l’énergie vivifiante de son Esprit-Saint, de la ressouder, de la réunifier en la faisant participer à sa vie divine. C’est ce but unique de toute son œuvre rédemptrice que le Christ exprimait devant son Père dans sa prière après la Cène : « Je leur ai donné la gloire (c’est-à-dire l’énergie du Saint Esprit) que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un» (Jn 17, 22-23). »[5]
Nous lisons dans l’épître aux Ephésiens et nous comprenons par cet extrait d’homélie que la fondation de l’Eglise n’a rien de fortuit. C’est par une vie en l’Eglise, en donnant au Christ d’habiter dans nos cœurs, que nous aurons « la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu’à recevoir toute la plénitude de Dieu. »[6] Mais que signifie cette vie en l’Eglise ?
L’épître aux Ephésiens continue ainsi avec un enseignement moral sur la vie au sein de l’Eglise, enseignement qui a trouvé sa place dans la Tradition ecclésiale, enseignement qui montre bien que notre modèle de vie est notre Seigneur Jésus Christ. Saint Paul nous exhorte à nous supportez les uns les autres dans l’amour, avec bonté, humilité, douceur et patience[7]. Nous sommes dans le devoir de « garder l’unité de l’esprit par le lien de la paix ». En tant qu’enfant de lumière, nous sommes appelés à toujours tâcher de discerner ce qui plaît à Dieu.[8] Dans notre service dans le monde, nous devons servir et agir au service de Dieu, et non des hommes, ainsi le bien que nous faisons, nous le faisons pour le Christ. [9]
En fin du chapitre 5 nous trouvons une merveilleuse synthèse de cet enseignement : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Eglise »[10]. Saint Paul y parle de la relation conjugale, mais aussi, par réciprocité, il y parle de la relation entre le Christ et l’Eglise, et par conséquent de la relation souhaitée entre chaque homme et le Corps du Christ. L’un et l’autre ne font qu’une seule chaire ! En faisant partie de l’Eglise, nous sommes donc appelés à la communion avec le Dieu trinitaire ainsi qu’avec l’ensemble des « saints et fidèles en Jésus Christ »[11]. Cette communion n’est pas seulement unité, mais également échange[12]. Comme il y a mouvement d’amour au sein de la Trinité, comme il y a mouvement d’amour de la Trinité vers les hommes, la communion, cette appartenance au Corps du Christ, attend un mouvement d’amour de chaque personne vers le Dieu Trinitaire et l’ensemble de l’Eglise. Comme dans la Sainte Trinité chaque Personne se donne complètement aux autres Personnes de la Trinité (périchorèse), nous sommes invités à faire la même chose. Mais que pouvons-nous donner ? Comment ce mouvement partant de l’homme peut-il être agréable à Dieu et à l’Eglise ? Comme pouvons-nous témoigner de notre amour ? « A quoi bon donner l’informe et le superficiel ? », écrit Olivier Clément, « La communion exige d’abord le recentrement, la pacification intérieure, la royauté sur les passions et les instincts. L’amour du prochain exige d’abord l’amour pour Dieu et son ascèse. C’est parce qu’il est totalement un avec le Père que le Christ peut se donner en nourriture, devenir notre « pain de vie » »[13]. Nous devons ainsi nous seulement nous préparer à recevoir la grâce de Dieu, mais également nettoyer notre âme pour être en mesure d’entrer en communion. Il est là le sens de l’enseignement moral de l’Eglise, pour être apte à recevoir et à donner.
Par le baptême nous avons « été marqués du sceau de l’Esprit promis, l’Esprit Saint, arrhes de notre héritage jusqu’à la délivrance finale où nous en prendrons possession, à la louange de sa gloire. ».[14] Nous avons reçu l’Esprit Saint, ce qui ne peut être une raison de s’enorgueillir : « C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil. »[15]. Sans Dieu nous ne sommes rien, sans le Christ nous sommes « sans espérance ». « C’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père.[16] ». Mettons notre confiance en Dieu et prions les uns pour les autres. Amen
p. Laurent, 10 septembre 2023
[1] Ep 1, 3-5 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : Il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ. Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ.
[2] Ep 1, -10 Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre.
[3] Ep 2, 14-18 C’est lui, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix : là, il a tué la haine. Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient proches. Et c’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père.
[4] Ep 2, 19-22 Ainsi, vous n’êtes plus des étrangers, ni des émigrés ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu. Vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondation les apôtres et les prophètes, et Jésus Christ lui-même comme pierre maîtresse. C’est en lui que toute construction s’ajuste et s’élève pour former un temple saint dans le Seigneur. C’est en lui que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit.
[5] Archimandrite Placide Deseille, La Couronne bénie de l’année chrétienne, Homélies pour l’année liturgique, volume II, Monastère Saint-Antoine-le-Grand, 2017, pag.296-297.
[6] Ep 3, 17-19 qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi ; enracinés et fondés dans l’amour, vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu’à recevoir toute la plénitude de Dieu.
[7] Ep 4, 1-3 Je vous y exhorte donc dans le Seigneur, moi qui suis prisonnier : accordez votre vie à l’appel que vous avez reçu ; en toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l’amour ; appliquez-vous à garder l’unité de l’esprit par le lien de la paix.
[8] Ep. 4, 8-10 Autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Vivez en enfants de lumière. Et le fruit de la lumière s’appelle : bonté, justice, vérité. Discernez ce qui plaît au Seigneur.
[9] Ep 6, 5-9 Esclaves, obéissez à vos maîtres d’ici-bas avec crainte et tremblement, d’un cœur simple, comme au Christ, non parce que l’on vous surveille, comme si vous cherchiez à plaire aux hommes, mais comme des esclaves du Christ qui s’empressent de faire la volonté de Dieu. Servez de bon gré, comme si vous serviez le Seigneur, et non des hommes. Vous le savez : ce qu’il aura fait de bien, chacun le retrouvera auprès du Seigneur, qu’il soit esclave ou qu’il soit libre. Et vous, maîtres, faites de même à leur égard. Laissez de côté la menace : vous savez que, pour eux comme pour vous, le Maître est dans les cieux et qu’il ne fait aucune différence entre les hommes.
[10] Ep 5, 31-32 C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Eglise.
[11] Ep 1, 1-2 Paul, apôtre de Jésus Christ par la volonté de Dieu, aux saints et fidèles en Jésus Christ : à vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.
[12] https://www.pagesorthodoxes.net/page-olivier-cl%C3%A9ment Olivier Clément, De l’individu à la personne.
[13] https://www.pagesorthodoxes.net/page-olivier-cl%C3%A9ment Olivier Clément, De l’individu à la personne.
[14] Ep 1, 13-14 En lui, encore, vous avez entendu la parole de vérité, l’Evangile qui vous sauve. En lui, encore, vous avez cru et vous avez été marqués du sceau de l’Esprit promis, l’Esprit Saint, arrhe de notre héritage jusqu’à la délivrance finale où nous en prendrons possession, à la louange de sa gloire.
[15] Ep 2,8-9 C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil.
[16] Ep2, 18 C’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père