Ce sixième dimanche de Pâques, nous avons lu pour homélie un texte du père Boris Bobrinskoy.
Source: Homélie de Père Boris Bobrinskoy pour le sixième dimanche de Pâques (egliserusse.eu)
Ce sixième dimanche de Pâques, nous célébrons le miracle de notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus Christ en faveur de l’Aveugle-né
Le Christ est ressuscité !
C’est le dernier miracle évangélique dont nous sommes aujourd’hui les témoins par l’Evangile de Jean. « La lumière du Christ illumine le monde » proclamons-nous en Carême. Cette lumière du Christ révélée par la Résurrection illumine à posteriori toute la vie du Christ. L’évangile de Jean décrit sept « signes » ou miracles du Christ parce qu’ils sont des symboles du sens profond de la venue de Dieu sur la terre et dans le cœur humain. Dans le miracle de la guérison de l’aveugle-né se révèle la grandeur de Dieu, sa gloire et sa sagesse.
La cécité est symbolique du péché qui est avant tout un aveuglement. Le péché crée en nous comme un écran entre Dieu et nous, il crée en nous les ténèbres et une incapacité foncière de voir, à fortiori de communier à la vie divine. Nous ne voyons pas notre propre réalité, notre propre péché. Que l’aveugle soit né aveugle montre qu’il ne s’agit pas d’un aveuglement provisoire mais d’un état durable, ancien, et dont on ne peut espérer la fin, humainement parlant. Mais Jésus précise que cet aveuglement est « Pour que se manifeste la gloire de Dieu », car c’est dans la guérison de cet aveugle qu’il montre sa gloire et non dans les bien-portants qui l’entourent, non dans les pharisiens qui lui reprochent d’agir un jour de sabbat.
Et cette guérison corporelle de l’aveugle s’accompagne d’une transformation totale et de la conversion du cœur.
Son cœur devient capable de voir Dieu. « Bienheureux les cœur purs, car ils verront Dieu », cette parole des béatitudes se réalise aujourd’hui devant nous, car l’aveugle confesse le Seigneur, proclame sa bonté devant tous ceux qui doutent de lui, il le reconnaît prophète et finalement « Fils de l’homme… ».
Il faut souligner aussi que pour retrouver la vision naturelle comme pour découvrir la vision de Dieu, il faut avoir conscience de sa cécité, se sentir comme l’aveugle-né dans des ténèbres profondes. Tant que nous sommes dans la pseudo-lumière de notre existence quotidienne, un abîme nous sépare de Dieu, et nous ne pouvons pas le franchir, nous ne voulons pas le franchir. Car il n’y a pas de continuité naturelle entre la lumière normale et la lumière de Dieu. Il y a entre elles une frontière. Cette frontière est faite des ténèbres de notre péché, mais aussi des ténèbres – bonnes et bénéfiques, celles-là – de notre repentance. Le péché nous maintient dans la ténèbre vis-à-vis de Dieu et dans le sentiment fallacieux et illusoire que nous sommes dans le bien, dans la certitude, que nous n’avons besoin de rien d’autre que de notre propre lumière. L’homme se croit autosuffisant et chemine sur le chemin de la vie, ignorant qu’il marche en réalité comme un aveugle-né. Il faut donc d’abord atteindre cet abîme, ce fond de nous-mêmes qui nous révèle notre insuffisance. Et c’est une grâce de Dieu qu’au fond de cet abîme, fléchissant douloureusement la tête et les genoux, nous reconnaissions enfin que nous sommes au bout de nos capacités naturelles et que nous avons besoin de Dieu.
Par la grâce de Dieu, car la grâce agit en nous-mêmes à notre insu, l’homme connaît le sentiment douloureux d’être là, de piétiner, de stagner dans sa propre misère, dans sa maladie, dans son aveuglement et son ignorance. Alors il se retourne, il se relève, il se tourne vers la grâce de Dieu, il reconnaît son péché dans la confession, et il remonte vers Dieu et sa lumière. La lumière ne vient peut-être pas tout de suite, il peut connaître un certain temps de solitude et de souffrance, que Dieu lui réserve avant de l’inonder de lumière et de l’abreuver de l’eau de la vie.
Ainsi l’expérience des ténèbres devient pour le pécheur qui se convertit, se tourne vers Dieu et monte vers la lumière, une expérience nécessaire.
C’est en fait l’expérience concrète de notre indignité d’homme, de notre incapacité foncière à nous tenir debout et à aimer, à agir dans la crainte de Dieu et à faire le bien. Heureusement Dieu ne nous garde pas longtemps dans cet état, car « Dieu est lumière et il n’y a en lui aucune ténèbre » dit saint Jean, et toute l’expérience de l’Eglise est une expérience de lumière : « Gloire à toi qui nous a montré la lumière », disons-nous à matines. La lumière du Christ recouvre et illumine le monde. Et l’Eglise nous offre à nous tous l’expérience vivante de cette lumière, lumière très réelle et en même temps sens intérieur d’évidence de Dieu, de certitude de sa présence et de son amour, de confiance dans la puissance de l’Esprit.
Peu à peu cette lumière grandit en nous par l’alternance des ténèbres et de la lumière, alternance sage et bonne qui est répétée à travers les différents cycles liturgiques, quotidien et annuel. Nous entrons par les vêpres dans la nuit. Cette nuit est le temps du sommeil mais aussi le temps du repentir, et nous remontons avec les matines à la lumière en nous appuyant sur le Soleil de justice. Au cours du Carême et de la Semaine Sainte nous sommes plongés dans les semi-ténèbres favorables au retour sur soi-même, au repentir, à la descente en soi et à la vision de l’état réel de notre cœur. À mesure que la Semaine Sainte s’avance, la lumière grandit et à Pâques la lumière du Christ illuminant toutes choses nous éblouit.
L’aveugle-né guéri sort des ténèbres et reçoit de Jésus la capacité de Le reconnaître, et de confesser à la face de ses ennemis qu’Il est le Fils de l’homme, c’est-à-dire le Messie et, dans la bouche de Jésus, le Fils de Dieu. De même lorsque la lumière du Fils de Dieu pénètre en nous, nous devenons capable de croître à travers le repentir dans la connaissance de Dieu, l’amour du prochain et la proclamation de la lumière du Christ dans le monde.