Paul Evdokimov était un théologien et un philosophe. Lorsqu’il aborde l’œuvre de Gogol et Dostoïevki, sa méthode n’est pas de critique littéraire, c’est une quête « de la destinée de l’homme ». En cela même, il est fidèle à la démarche profonde de ces deux écrivains. « On me reproche d’avoir parlé de Dieu », écrivait Gogol, « chacun de nous a ce droit ». Et Dostoïevki : « On m’appelle un psychologue, mais ce n’est pas vrai, je suis un réaliste au plus haut sens du mot. C’est-à-dire que je montre les profondeurs de l’âme humaine. »
Dans ce livre, Evdokimov est « un réaliste au plus haut sens du mot ». Qu’on entende bien mon propos : il ne s’agit pas ici de deux monographies juxtaposées, mais d’un essai unique sur la « descente aux enfers » réalisée par deux hommes de génie, d’angoisse (plutôt que de doute) et de foi, devant lesquels « on se sent devant un seul être, mais d’âge, d’époque et de maturité différents ». Chez l’un comme chez l’autre, c’est la même exploration du mal dans ses abîmes et sa platitude, dans sa réalité proprement spirituelle, cette très intelligente et très perverse déchirure de l’être que ni le « progrès », ni la révolution, ni l’organisation sociale la plus parfaite ne pourront jamais réparer. [...] Ce qui fait la fécondité de ce livre, c’est qu’il n’enferme pas dans un passé mort ces deux psychologues de génie qui furent surtout des « pneumatologues », mais qu’il ne cesse de projeter, de prolonger leur témoignage dans notre présent et notre avenir. Paul Evdokimov a ainsi des pages de grand théologien sur le mal, l’art, le fantastique, la spiritualité de demain.
Ce livre est une magistrale étude du nihilisme et de son dépassement possible. Il ouvre les voies d’un christianisme aéré, immense, débordant d’espoir et de grâce, entièrement ouvert aux souffles de l’Esprit. Car si l’homme abandonne Dieu, jamais le Christ n’abandonnera l’homme, encore, plus encore sera possible le cri du larron, « l’acte de foi, l’acte de folie, insatiable et toujours affamé… »
Numéro interne: E-006