Sur la libre circulation de l’Esprit Saint

par l’Archiprêtre Dr. Georgios Lekkas

Le but de la vie chrétienne, tel qu’il est si joliment présenté par Saint Séraphin de Sarov, est de permettre à l’Esprit Saint de nous unir à Dieu, les uns aux autres et à toute chose. Cela se produit avant tout dans l’Église qui, en tant que Corps de notre Seigneur Jésus-Christ, est, selon l’apôtre Paul, le Saint Temple de Dieu. L’Esprit Saint, qui repose et habite dans l’Église, lui accorde tout et fait de nous tous, dans l’Église, un avec le Christ, comme Il est un avec le Père (1 Corinthiens iii, 22-23). L’Église, en particulier lors de l’Assemblée Eucharistique, constitue un lieu et une voie de libre circulation de l’Esprit Saint, qui nous ouvre les uns aux autres et nous unit à tout et à tous.

L’Esprit Saint différencie les membres du Corps de l’Église en distribuant à chacun un don différent (1 Cor. xii, 7) afin que les membres de l’Église se complètent et s’unissent en vue de la gloire de Dieu (1 Cor. xii, 18-27). Chaque membre de l’Église prend donc soin de l’autre comme il prend soin de lui-même ; il s’afflige dans les peines de l’autre et se réjouit dans ses joies, puisque, en tant que membre d’un seul Corps, la peine de l’autre est nécessairement ma propre peine et la joie de l’autre est ma propre joie. L’ouverture du cœur de l’un pour l’autre augmente ainsi notre unité ecclésiastique et constitue la voie principale vers la perfection pour laquelle nous, les humains, avons été créés (1 Cor. xii, 31).

La complémentarité des membres du Corps de l’Église nous permet de vaincre même la mort. Grâce à la Résurrection du Christ, réunis dans l’Eucharistie, nous sommes en pleine communion, vivants et morts (1 Cor. xv, 29), une communion qui est destinée à s’accroître encore avec notre mort et surtout avec notre résurrection finale, à condition bien sûr que nous restions unis au Christ jusqu’à la fin de notre vie terrestre (1 Cor. xv, 50-54). Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment un Royaume éternel qu’il échappe à l’homme de connaître pleinement dès maintenant, mais l’Esprit Saint, nous rappelle l’Apôtre, permet aux membres du Corps du Christ d’avoir une vision anticipée du Royaume, à la mesure de notre ouverture les uns aux autres et à Dieu (1 Cor. ii, 9-10).

Mais alors que l’Esprit Saint travaille à nous ouvrir les uns aux autres et à nous unir au Christ et entre nous, nos passions font obstacle à la force unificatrice de l’Esprit Saint et augmentent la fermeture de chacun de nous, provoquant ainsi la division intérieure de chacun de nous  (1 Cor. iii, 3 et 21). En particulier, l’idolâtrie, la fornication, ainsi que nos gémissements dans les afflictions, selon l’Apôtre (1 Cor. x, 7-10), brisent l’unité de chacun de nous et l’unité entre nous et empêchent la libre circulation de l’Esprit Saint en nous et entre nous.

Le souci de Paul de ne pas scandaliser les frères est dû à sa conviction que, puisque nous sommes un seul Corps [= un seul pain] et que nous nous nourrissons du même pain [= le Corps du Christ, 1 Corinthiens x, 17], le fait de scandaliser le frère empêche Dieu d’être glorifié à travers l’unité que nous devrions avoir les uns avec les autres. Au contraire, le souci d’aimer l’autre plus que soi-même (1 Corinthiens x, 24 : «Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui.» [Traduction AELF pour les citations de ce texte]) permet à l’Esprit Saint de circuler librement en nous et entre nous. Par exemple, l’Apôtre souligne que le fort dans la foi qui protège ceux qui sont encore faibles dans leur foi (1 Corinthiens viii, 12-13), ainsi que le respect d’un mari pour sa femme et d’une femme pour son mari (1 Corinthiens xi, 5-12), contribuent à la libre circulation de l’Esprit Saint lors de la Célébration Eucharistique.

L’apôtre Paul, au risque d’être accusé de bêtise, se présente comme un exemple d’ouverture au Christ et à ses frères [«Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ.», 1 Cor. xi, 1]. Il est facile de mal comprendre Paul si nous ne comprenons pas la perspective dans laquelle il parle de lui-même. En particulier, Paul parle le plus souvent de son propre moi spirituel dans ses Épîtres comme s’il s’agissait de celui de quelqu’un d’autre. Cet Autre est le Dieu-Homme Jésus-Christ qui, en tant que la Tête de notre Corps Ecclésial en l’Esprit Saint, est plus nôtre que notre propre moi et qui, en tant que Tel, est, selon l’Apôtre, le seul à avoir le droit de nous juger (1 Cor. iv, 4-5).

Pour l’Apôtre, il est donc déjà acquis ce qui reste encore un but spirituel pour la quasi-totalité d’entre nous. Soucieux d’offrir aux fidèles un modèle accompli d’ouverture chrétienne à Dieu et aux frères, Paul présente son moi spirituel uni au Christ comme un exemple à imiter, tout en soulignant que le bien qu’il a été et fait n’est pas le sien, mais l’œuvre de la grâce divine (1 Corinthiens xv, 10: «Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.»)

L’Apôtre sait qu’en se présentant comme un modèle d’union avec le Christ, il met en danger les trésors spirituels que la présence du Seigneur en lui par l’Esprit Saint lui a confiés, mais il le fait avec sacrifice pour nous gagner au Seigneur. Et le Seigneur, qui voit son esprit de sacrifice jusqu’à tout perdre afin de gagner ne serait-ce qu’un croyant de plus, protège ses trésors spirituels et les multiplie pour lui. Paul semble avoir vécu ce miracle : À tout moment, il était prêt à tout sacrifier, jusqu’à se condamner à l’Enfer, pour que le Christ gagne d’autres personnes, voire chacun d’entre nous.

Le souci principal de Paul est donc non seulement de ne pas mettre d’obstacle à l’Évangile du Christ, mais aussi d’unir au Seigneur le plus grand nombre possible de personnes. (1 Cor., ix, 18-23 : «Alors quel est mon mérite ? C’est d’annoncer l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel, et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Et avec les Juifs, j’ai été comme un Juif, pour gagner les Juifs. Avec ceux qui sont sujets de la Loi, j’ai été comme un sujet de la Loi, moi qui ne le suis pas, pour gagner les sujets de la Loi. Avec les sans-loi, j’ai été comme un sans-loi, moi qui ne suis pas sans loi de Dieu, mais sous la loi du Christ, pour gagner les sans-loi. Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour y avoir part, moi aussi.») En fait, Paul se cache derrière le Christ pour que ce ne soit pas lui qui soit mis en avant mais le Christ, et le Christ qui a vu l’humilité de Paul l’a glorifié comme l’a fait seulement pour peu de Ses Apôtres.

Le Christ a fait de Paul un modèle de paternité spirituelle. Le Christ a enseigné à Paul à se diminuer lui-même afin que le Christ puisse augmenter dans les enfants spirituels de son Apôtre (1 Cor. iv, 10-15: «Nous, nous sommes fous à cause du Christ, et vous, vous êtes raisonnables dans le Christ ; nous sommes faibles, et vous êtes forts ; vous êtes à l’honneur, et nous, dans le mépris. Maintenant encore, nous avons faim, nous avons soif, nous sommes dans le dénuement, maltraités, nous n’avons pas de domicile, nous travaillons péniblement de nos mains. On nous insulte, nous bénissons. On nous persécute, nous le supportons. On nous calomnie, nous réconfortons. Jusqu’à présent, nous sommes pour ainsi dire l’ordure du monde, le rebut de l’humanité. Je ne vous écris pas cela pour vous faire honte, mais pour vous reprendre comme mes enfants bien-aimés. Car, dans le Christ, vous pourriez avoir dix mille guides, vous n’avez pas plusieurs pères : par l’annonce de l’Évangile, c’est moi qui vous ai donné la vie dans le Christ Jésus.»)

L’expérience pastorale de l’apôtre Paul a été confirmée au fil des siècles par l’expérience pastorale de nos Saints : La progression spirituelle de l’enfant spirituel en Christ dépend largement de la réduction cathartique (purificatrice) de son père spirituel, de sorte que le Christ grandit dans tous les deux. De ce point de vue, la relation entre le père spirituel et son enfant spirituel devrait être un lieu privilégié pour la circulation sans entrave de l’Esprit Saint avec des bénéfices spirituels significatifs, lorsque cela est réalisé, pour le  Corps de l’Église tout entier.

Paul parle avec la force qui lui a été donnée par l’Esprit de Dieu, de sorte que quiconque l’écoute soit convaincu non pas par la sagesse humaine de ce qu’il dit, mais par la force divine qui imprègne tout ce qu’il dit. Car si, hélas, nos paroles ne sont que le véhicule d’une sagesse humaine, elles risquent de conduire celui qui nous entend à l’admiration de ce que nous disons et, pire encore, à l’idolâtrie en faisant de notre visage l’objet de l’adoration. Au contraire, si nos paroles sont porteuses de la force divine, elle seule peut mobiliser l’esprit de celui qui nous écoute et le tourner vers l’adoration de Dieu Tout Saint qui sauve alors à la fois celui qui parle et ceux qui l’écoutent (1 Cor. ii, 4-5).

Cours de catéchèse 15.12.2024