par l’Archiprêtre Dr. Georgios Lekkas
L’orgueil, selon Saint Jean Climaque, « c’est la pauvreté extrême de l’âme qui s’imagine seulement être riche et qui croit vivre dans la lumière alors qu’elle est dans les ténèbres ». Et non seulement ce microbe ne permet pas à l’homme de progresser, mais même s’il est en haut, il le fait tomber » [Discours XXII, §24 /Édition du Monastère du Paraclète, Athènes, 2014, en grec]. L’orgueilleux tourne le dos au Dieu Humble, de sorte qu’il est incapable de sentir le parfum de l’Humble Esprit Saint, lorsqu’il se vante de ses facultés intellectuelles grâce auxquelles il est supposé pouvoir examiner par nature les « jugements incompréhensibles » de Dieu [Discours XXV, §21]. Au contraire, l’humble évite avec crainte, selon l’Echelle, d’examiner par la pensée les « mystères invisibles » de Dieu [Discours XXV, §11] et laisse le Seigneur l’informer sur Ses mystères de façon mystique et selon Sa volonté. La Sainte Humilité accordée par le Fils par l’intermédiaire de l’Esprit Saint ne permet, selon l’Échelle, à quiconque y est associé, aucune forme d’opposition – ni, bien sûr, d’opposition dialectique – à moins qu’il ne s’agisse de « questions de foi » [Discours XXV, §9].
Une question de foi aussi fondamentale concernant l’Emanation de l’Esprit Saint et le combat mené par saint Grégoire Palamas au XIVe siècle est brièvement abordée dans les lignes qui suivent.
Selon Saint Grégoire Palamas, la cacodoxie latine concernant l’Emanation du Saint-Esprit non seulement du Père mais aussi du Fils a pour cause principale l’arrogance de ses partisans, qui ont ignoré les décrets orthodoxes des deux premiers Conciles Œcuméniques et ont été conduits à des positions doctrinales absurdes sous prétexte qu’ils sont censés savoir mieux que les participants aux Conciles œcuméniques [St Grégoire Palamas, Les écrits, vol. I, Thessaloniki 1988, en grec, pp. 79-80].
Alors que selon l’affirmation doctrinale orthodoxe de l’Église indivise, le Fils n’est médiateur que lors de la création des êtres créés et non pour l’émanation du Saint-Esprit, les Latins ont accepté unilatéralement que le Père émane le Saint-Esprit indirectement par le Fils, tandis que le Fils L’émane directement et sans aucun intermédiaire [pp. 43 et 69].
L’excès de confiance des Latins dans leurs capacités intellectuelles a entraîné, selon Palamas, l’introduction de la diarchie au sein de la Sainte Trinité, puisque selon eux le Père et le Fils constituent tous les deux l’origine du Saint-Esprit [p. 58]. Et non seulement la diarchie, mais aussi la confusion entre les Hypostases du Père et du Fils en acceptant que le Fils est Lui aussi Père du Saint-Esprit [pp. 51 et 63].
Cependant, l’unicité de la Sainte Trinité, rappelle Saint Grégoire, est due, selon l’affirmation doctrinale constante de l’Église indivise, à la fois à l’Essence commune des Trois Personnes et à la reconnaissance d’un seul et unique principe pour la Sainte Trinité, qui est l’Hypostase du Père [p. 39].
En assimilant l’émanation intra-trinitaire de l’Esprit Saint à son envoi dans la Création, les Latins, en fait, affirme Saint Grégoire Palamas, rendent l’Esprit Saint créé [p. 99]. Les Latins ont répété ainsi, selon Saint Grégoire, la cacodoxie des Ariens, car si les Ariens ont soutenu que le Fils et Verbe de Dieu est une simple créature, les Latins sont nécessairement conduits à la conclusion que le Saint-Esprit est une créature au même titre que le reste de la Création [p. 132].
Les Ariens se sont écartés de la foi saine en considérant le Fils comme l’œuvre de la volonté du Père, et les Latins ont commis la même erreur à propos du Saint-Esprit. C’est-à-dire ils L’ont considéré comme l’œuvre de la volonté du Père et du Fils et non comme une « œuvre selon la nature » comme Athanase le Grand l’a soutenu dans son conflit avec les Ariens [p. 98]. En particulier, selon Athanase le Grand, le Père engendre le Fils « par nature » et non « par volonté » et émane également le Saint-Esprit « par nature » et non « par volonté », et ce parce que l’engendrement naturel du Fils et l’émanation naturelle de l’Esprit Saint sont supérieurs à la création par la volonté [pp. 98-99].
Mais même si nous n’acceptons pas que le Saint-Esprit soit une créature, une fois que nous acceptons, comme les Latins, le Fils comme deuxième principe de la Sainte Trinité, nous sommes contraints, comme Palamas l’a prouvé, d’accepter le Saint-Esprit comme troisième principe au sein de la Sainte Trinité, qui dans ce cas doit engendrer, ensemble avec le Père, le Fils ! [p. 100]. Ainsi, que l’on accepte l’Esprit Saint comme une créature ou comme le troisième principe de la Sainte Trinité, il est certain que l’erreur des Latins conduit nécessairement au polythéisme et à l’annulation de l’unicité de la Sainte Trinité [p. 39].
Selon la révélation doctrinale constante dans l’Église indivise, le Fils et le Saint-Esprit ont tous les deux pour cause exclusive l’Essence et la Personne du Père, qui seul est sans cause [p. 152]. Dieu le Père est le Père parce qu’il engendre le Fils et émet le Saint-Esprit [p. 34]. Selon le Saint Basile le Grand, rappelle Saint Grégoire Palamas [p.46], de Dieu le Père, comme d’une seule bouche, vient le Verbe/Fils et le souffle qui sort avec lui (= le Saint Esprit). Pour réfuter toute éventuelle dégradation de l’Esprit par rapport au Fils, Palamas invoque le témoignage de Saint Grégoire le Théologien, selon lequel Dieu le Père, en tant que cause directe et exclusive des deux Lumières, est à la fois le Père du Fils et le Projecteur de l’Esprit Saint [pp. 53 et 129].
Le Saint-Esprit est donc tout aussi « second » que le Fils et non une cause troisième et inférieure comme l’ont prétendu à tort les Latins [pp. 54 et 67]. Plus précisément, le Saint-Esprit est « Dieu par nature », au même titre que le Fils, dans la mesure où il « procède de Dieu le Père seul » [p. 38]. Selon la célèbre et très inspirée phrase de saint Grégoire Palamas, Dieu le Père est « Dieu sans cause et cause de la divinité » ! [p. 114]. Ainsi, tout ce que le Père a, le Fils l’a aussi, sauf pour la causalité, et tout ce que le Fils a, l’Esprit l’a aussi, sauf pour la filiation [p.66], afin que chaque Hypostase soit Dieu et les trois Hypostases divines ensemble soient un seul Dieu, la Sainte Trinité [p. 40].
Palamas suit fidèlement Saint Grégoire de Nysse, qui fut considéré comme le « père des pères » lors du deuxième Concile Œcuménique, en soulignant que, de même que Dieu le Père n’existe jamais sans le Fils, il en va de même pour le Saint-Esprit [pp. 93 et 123]. L’émanation de l’Esprit Saint, nous rappelle saint Grégoire Palamas, du Père seul ne constitue donc pas seulement une modalité pour son origine, mais aussi une modalité pour sa coexistence éternelle avec le Père sans commencement [p. 77].
La déraison des Latins, conséquence de leur confiance arrogante en leurs capacités intellectuelles, les a rendus, selon Saint Grégoire Palamas, incapables de distinguer entre l’émanation éternelle de l’Esprit Saint et Son envoi dans la Création [p. 151]. Le fait que le Fils a été envoyé dans le monde par le Père et le Saint-Esprit ne signifie en aucun cas que le Fils est engendré par le Père et le Saint-Esprit, soutient Palamas [p. 97]. Selon l’affirmation dogmatique de l’Eglise indivise, la diffusion de l’Esprit Saint dans le monde est le résultat de la volonté commune des Trois Personnes de la Sainte Trinité [pp. 88 et 117], qui ne doit jamais être confondue avec l’émanation de l’Esprit Saint par Dieu le Père seul qui dans ce cas Il n’agit que « selon la nature » [p. 89].
Le problème des Latins lorsqu’ils parlent de Dieu est, selon saint Grégoire, que non seulement ils ne font pas la distinction entre la Nature divine et la Volonté divine, mais qu’ils ne font pas non plus la distinction entre les Hypostases divines et les Energies divines [p. 105]. Lorsque le Christ dit à ses disciples, explique Palamas, que les paroles que je vous dis sont Esprit, il ne parle pas de l’Hypostase de l’Esprit Saint, mais de l’énergie divine et vivifiante dont ses paroles sont remplies [p. 84]. Le Christ n’a donc pas accordé à ses disciples l’Hypostase de l’Esprit Saint, mais des énergies de l’Esprit Saint capables de produire des effets bénéfiques sur le plan du salut pour les personnes concernées.
Le Fils et Verbe de Dieu est, selon Palamas, Celui qui a accordé à la Création les énergies de l’Esprit Saint capables d’assurer à la fois sa constitution et son maintien, et c’est encore Lui-même qui a accordé à l’Église les énergies du Saint-Esprit nécessaires à la constitution et au maintien de l’Église comme état de la recréation du Monde entier [pp.119-120]. C’est en ce sens seulement, selon Saint Grégoire, que le Fils et Verbe de Dieu est le « donateur de l’Esprit » et non, bien sûr, dans le sens que c’est le Fils et Verbe de Dieu qui donne à l’Esprit Saint son Hypostase.
En effet, l’homme a été privé par la Chute de la lumière divine qu’il avait reçue lors de sa création au Paradis et c’est cette perte, selon Saint Grégoire, que le Fils et Verbe de Dieu est venu restaurer dans le Monde en réinfusant à l’homme les énergies de l’Esprit Saint dont il avait été privé à cause de sa chute [pp. 85-86]. Trois fois, selon Palamas, le Fils et Verbe de Dieu a accordé le Saint-Esprit à l’homme [p. 94] : 1. lors de sa création au Paradis ; 2. lorsque, avant son Ascension au Ciel, Il a accordé à ses disciples des pouvoirs pour le pardon des péchés de tous ceux qui croiraient en Lui ; et 3. après son Ascension, à la Pentecôte (et aussi à la Pentecôte de chaque fidèle par l’administration des dons du Saint-Esprit par le moyen du Sacrement de la Chrismation).
Les conséquences sotériologiques de la cacodoxie des Latins concernant le Filioque sont énormes selon Saint Grégoire. Quiconque déclare, dit-il, que le Saint-Esprit doit son Hypostase pas seulement au Père mais aussi au Fils se trouve « en dehors de la piété » et « en dehors de l’Église » [p. 130] et cela, parce que quiconque défend le Filioque, dit le Saint, « perd l’adoption que le Saint-Esprit accorde » seulement aux fidèles orthodoxes [p. 49]. Ainsi, selon Palamas, la littérature latine sur le Filioque est l’œuvre de théologiens qui, étant « déchus de l’adoption », ne comprennent pas par l’Esprit Saint l’enseignement orthodoxe sur le Saint-Esprit, de sorte qu’ils procèdent à des interprétations erronées [p. 71].
C’est là que réside la principale différence de méthode théologique entre l’Occident et l’Orient. La théologie latine essaie, dit le Saint, par une réflexion arrogante de comprendre ce qui transcende les êtres, avec pour résultat de présenter comme Ordre de la Vie Trinitaire le contenu de ses prétentieuses inventions philosophiques [p. 151]. Bien au contraire, la théologie orthodoxe est le contenu de la révélation divine aux théologiens au cœur pur et humble. Comme il le dit de façon caractéristique, à la suite de Saint Basile le Grand, l’ordre transcendant de la Sainte Trinité ne peut pas être conquis par I’intelligence, mais seulement révélé à elle, comme le Dieu trinitaire lui-même veut se révéler à des théologiens qui ont été au préalable purifiés de leurs passions [p. 62].
En effet, selon Saint Jean Climaque, l’Esprit Saint est Celui qui visite les uns comme une flamme et les purifie, et les autres – ceux qu’Il a déjà purifiés – Il les visite comme une lumière et II les éclaire : «C’est donc avec raison», écrit-il, «qu’un de nos pères qui, par leur science, ont mérité le titre de théologiens, a dit, qu’un feu saint et céleste descend dans les personnes qui se livrent à la méditation pour les enflammer, et les purifier des impuretés et des souillures qui leur restent encore, et que ce même feu descend aussi dans les
âmes de celles qui ont réglé leur cœur selon les lumières de la foi, pour les
éclairer de plus en plus et les faire avancer dans les voies de la perfection. C’est
pourquoi ce feu salutaire est justement appelé une lumière qui consume et qui
éclaire.» [Discours XXVIII, §54 / PDF Version Digitale, mise en page : diacre Roman Biliavskyi,
7 juillet 2018]
L’homme n’apprend, selon l’Échelle, ce qu’est l’humilité divine que lorsque le Dieu Humble pénètre en lui par ses énergies divines. L’homme qui fait l’expérience de l’Humilité de Dieu se met au-dessous de tous les hommes, au-dessous même des démons. Ainsi, lorsque la Grâce de la Sainte Humilité touche un homme, il ne blâme pas les démons pour ses erreurs, mais il ressent qu’il nourrit et augmente lui-même la malice des démons par ses erreurs et ses échecs. Selon Saint Jean Climaque, «l’humilité est une grâce précieuse que Dieu fait à une âme, laquelle ne peut être exprimée par des paroles, et qui n’est connue que de ceux qui en ont fait une heureuse expérience ; c’est un trésor incompréhensible ; elle tire son nom de Dieu même ; elle est un don tout divin, car il est dit : Apprenez, non d’un ange, non des hommes, non dans les livres, mais de Moi, c’est-à-dire, de la présence, des lumières, et de l’opération de mon Esprit en vous, que Je suis doux et humble de cœur, d’esprit et de volonté ; et vous trouverez le repos de vos âmes par la cessation des tentations et par la fin de vos combats.» (Mt 11,29) / Discours XXV, §3 PDF Version Digitale]
L’Humble Esprit Saint repose sur celui qui subit injustement l’humiliation et se conserve en lui à condition que ce dernier s’humilie à son tour [Discours IV, § 125]. Il est alors établi en lui, selon l’Échelle, la douceur qui lui permet de prier sincèrement même pour ses ennemis et sans se préoccuper le moins du monde des troubles qu’ils lui causent. L’homme devient ainsi comme un rocher inébranlable au milieu de la mer, de sorte que toutes les vagues qui le frappent se dissolvent sur lui [Discours XXIV, §2].
En effet, la Sainte Humiliation ne se trouve, selon l’Échelle, que chez les orthodoxes et encore plus spécifiquement chez ceux des Orthodoxes qui ont été au préalable purifiés de leurs passions : « Il est impossible de sortir du feu de la neige. Mais il est encore plus impossible de rencontrer la [Sainte] Humiliation chez les hétérodoxes », lisons-nous dans l’Echelle, « car cet exploit n’appartient qu’aux fidèles orthodoxes, et même à ceux d’entre eux qui ont été purifiés de leurs passions » [Discours XXV, §31].
Nous avons commencé cet exposé avec Saint Jean Climaque. Terminons donc à nouveau avec un texte de lui sur l’Humilité divine : «Quelqu’un ayant un jour aperçu dans le fond de son âme», écrit Saint Jean, «la beauté ravissante de cette vertu, tout hors de lui-même, il se permit de lui demander quel était celui de qui elle avait reçu le jour et l’existence. Elle lui répandit avec un doux sourire : Comment se fait-il que vous désiriez connaître le nom de mon père ? Il est sans nom, aussi bien que moi ; je ne vous expliquerai cette merveille que lorsque vous serez entré dans la possession de Dieu, à qui soient toute gloire et tout honneur dans tous les siècles des siècles. Amen.» [Discours XXV, §68 PDF Version Digitale]
Bruxelles, 13.3.2024.