Homélie pour le dimanche de tous les saints.
Chers frères et sœurs,
Nous fêtons aujourd’hui le dimanche de tous les saints. Placé à la suite de la Pentecôte, l’Eglise nous enseigne ainsi que c’est par la force bienfaisante de l’Esprit Saint que les saints ont pu persévérer dans le combat et endurer tant de difficulté et qu’ils ont pu répandre tant de bonté et de douceur. « Le Fils nous a donné les prémices de l’Esprit », écrit saint Athanase, « afin que nous puissions devenir les fils de Dieu conformément à l’image du Fils de Dieu. Ainsi, si c’est par l’Esprit que le Verbe se fit homme, c’est aussi par l’Esprit seul que la vie véritable nous est donnée.[1] » Il est là le sens véritable de la Pentecôte : C’est la restitution à la personne humaine de la grâce qu’Adam n’avait pu retenir.[2] Car devenir saint ne signifie pas être transformé en ce que nous n’étions pas, mais être renouvelé glorieusement par la transformation en ce que nous étions avant. [3]
Au plus abondante la grâce que l’Esprit dépose dans le cœur d’un homme, au plus grande la ressemblance avec le Christ qu’acquière cette personne. « Le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité, la douceur, la tempérance », nous dit saint Paul. Ainsi, dans sa kénose, l’Esprit ne se révèle pas lui-même, mais Il révèle le Fils. C’est par la grâce répandue sur nous que nous pouvons nous approcher de la sainteté. En réalité, le Saint Esprit est toujours présent en nous, comme nous le transmet saint Syméon le Nouveau Théologien : « Car jamais à personne Tu ne T’es dérobé, mais c’est nous qui toujours nous cachons de Toi, ne voulant pas aller vers Toi. »[4]. Nous mettre en bonne disposition afin recevoir la grâce de Dieu devrait être notre seule préoccupation.
Quand le Christ nous demande de quitter nos parents, nos frères et sœurs, nos enfants, il nous parle de notre attachement terrestre et de nos activités pécheresses. Il nous demande d’élever notre regard vers le haut. Il n’exclue pas l’amour pour les parents et l’ensemble de nos proches, mais il nous demande d’abandonner ce qui nous sépare de Dieu. Le regard fixé vers Dieu, Dieu nous rendra au centuple en prenant soin de nos nécessités terrestres. Si pour les apôtres et une multitude de saints le fait de quitter leurs proches est à prendre au sens littéral, c’est pour annoncer l’Evangile selon les dons qu’ils avaient reçus.
Ce 11 juin c’est aussi la fête de saint Luc de Crimée. Sa vie nous illustre un cheminement vers la sainteté et éclaire les paroles prononcées par le Christ dans l’Evangile de ce jour. Saint Luc est un saint qui nous est proche, et ceci de plusieurs manières. Il est né au Ciel en 1961 et il a vécu non dans un monastère mais dans le monde, exerçant la profession de médecin de campagne, de chirurgien renommé, de scientifique reconnu, en Union Soviétique, dans un temps de persécution contre l’Eglise. Il a été marié et père de quatre enfants. Suite à la mort de son épouse Anja il est appelé au sacerdoce, il est tonsuré moine et finalement élevé au rang d’évêque et archevêque. Je souhaite avancer quelques éléments de sa vie qui forme une source d’inspiration pour nous tous.
Sa vie nous rappelle la parabole des talents. Avec beaucoup d’abnégation saint Luc a mis, tout au long de sa vie, les talents qu’il a reçu en don au service de son prochain et de l’Eglise. Même, ou peut-être il est mieux de dire ‘comme’, évêque il a continué à aider les personnes, avec la prière, avec le don de la parole, mais aussi par biais de la médecine et d’innombrables opérations chirurgicales réussies. Nos talents sont des dons que nous devons mettre au profit, non pour notre propre gloire, mais pour la gloire de Dieu et au service de notre prochain, le regard orienté vers le Christ. Un premier pas vers la sainteté et vers l’acquisition du Saint Esprit se trouve très justement dans le soin que nous portons aux dons qui nous ont été offerts.
Saint Luc expérimentera l’abandon de la grâce, quand, après une hésitation concernant la vocation à suivre, la médicale ou la sacerdotale, il refuse une chaire comme archevêque, ceci peut-être pour chercher un peu de quiétude et certainement pour faire fructifier sa grande connaissance et expérience en médecine. Il dit à ce sujet : « Abandonné par Dieu et privé de raison, j’aggravai mon lourd péché de désobéissance au commandement du Christ : Pais mes brebis – par la terrible réponse « non ».[5] Problèmes de santé et rêve prophétique, il ressent la perte de grâce, et repentant, il reprend le chemin de la double vocation.
Quand nous mettons notre confiance en Dieu, avec humilité, patience et dans l’obéissance, le grâce de Dieu nous illumine. Ainsi saint Luc est pris de découragement pendant un période d’exil. « Je tombai dans l’acédie », se souvient-il, « et une fois dans le sanctuaire, je priais en larmes devant l’icône de notre Seigneur Jésus Christ qui était derrière l’autel. Il y avait visiblement, dans cette prière, de la révolte contre le Seigneur Jésus, qui mettait si longtemps à tenir sa promesse de libération. Et soudain, je vis que Jésus Christ, représenté sur l’icône, détournait brusquement de moi Son très pur visage. Je tombai dans l’épouvante et le désespoir et n’osai plus regarder l’icône. Je vis le livre des Apôtres. Je l’ouvris machinalement et me mis à lire la première chose qui me tomba sur les yeux. Le passage produisit sur moi un effet miraculeux. Il me fit voir ma déraison et l’audace de ma révolte contre Dieu et confirma la promesse de ma libération, attendue avec tant d’impatience. En regardant l’icône placée derrière l’autel, je vis que le Seigneur Jésus Christ posait à nouveau sur moi un regard lumineux et plein de grâce [6]».
Il a confessé le Christ dans des conditions difficiles. En faculté de médecine et à l’hôpital, en pleine persécution antireligieuse, il apparaît en soutane et avec sa croix pectorale. Avant chaque opération il prie et fait le signe de croix sur les patients. En salle d’opération il refuse d’opérer si l’icône du Christ n’y pend pas. Nous voyons dans sa vie comment Dieu lui a été rendu la force au centuple. Aujourd’hui saint Luc est un grand intercesseur auprès du Seigneur pour les personnes malades.
Amen
[1] Jean Meyendorff, Initiation à la théologie byzantine, Les éditions du Cerf, Paris, 2010, pag. 229
[2] Vladimir Lossky, Théologie dogmatique, Les éditions du Cerf, Paris, 2012, pag. 164
[3] Virgil Gheorgiu, De la 25ième heure à l’heure éternelle, Pourquoi m’appele-t-on Virgil, Librairie Plon, 1968, pag. 169
[4] Vladimir Lossky, Théologie dogmatique, Les éditions du Cerf, Paris, 2012, pag. 167
[5] Anton Odaysky, L’exploit de toute une vie, Les éditions du Cerf, Paris, 2017, pag. 144
[6] Librement cité de Anton Odaysky, L’exploit de toute une vie, Les éditions du Cerf, Paris, 2017, pag. 133